Pour sa soirée du vendredi 13 octobre au Théâtre de la Halle au Blé, à La Flèche, l’association Fous de Nature avait invité Francis Hallé, botaniste de Montpellier, initiateur des expéditions du Radeau des cimes en forêt tropicale et spécialiste de « l’architecture des arbres ».
« Cela me fait plaisir de parler des arbres. Il y a cinquante ans, on parlait du bois », attaque d’emblée Francis Hallé, pour qui l’arbre est « un modèle de discrétion ». Il en veut pour preuve un déjeuner pris à une terrasse dans le Midi. Outre les cigales, tous les plats servis se réfèrent d’une façon ou d’une autre à un arbre, mais on l’oublie, tant est répandu « le mépris de l’arbre ». Sartre, dans La nausée, avoue son dégoût, comme plus tard Reagan et même Samuel Beckett : « Un arbre, ça ne sert à rien, sinon à se pendre ». Paul Claudel se plaint qu’un tilleul fasse de l’ombre à sa pelouse…
Partout, la forêt tropicale est menacée. A Sumatra et Bornéo, on la remplace par des plantations de palmiers à huile. Au Brésil, dans le Mato Grosso, on la défriche pour planter du soja. En Papouasie, on exploite les bois tropicaux pour faire des meubles ou du papier. Les écosystèmes les plus riches sont ainsi dévastés pour fournir la société de consommation.
Et ne parlons pas des arbres de nos jardins, soumis à un régime sévère : maîtriser, soumettre et tailler. On croit généralement rajeunir un arbre en le taillant, mais c’est le contraire : on le blesse en coupant des branches, et l’on favorise l’attaque des insectes et des champignons. On précipite au contraire son déclin. Tailler un arbre fruitier se justifie, pour obtenir davantage de fruits. Mais on ne prolonge pas son existence, au contraire. Est-ce que l’arbre souffre quand on le taille ? Difficile à dire puisqu’il ne crie pas. Mais la taille le fait souffrir.
Francis Hallé aborde alors un sujet qui lui est cher : l’architecture de l’arbre. Après avoir étudié la chose de près, il en conclut qu’il existe 24 modèles architecturaux. Il y a des arbres à croissance rythmique, comme le chêne, le pin ou l’hévéa, et d’autre à croissance latérale, comme le cacaoyer, ce qu’il montre au moyen d’un paper board dressé sur la scène. Puis le botaniste s’engage dans le processus de « réitération », lorsqu’un jeune arbre, tel un rejet, pousse sur un vieil arbre, en utilisant sa ressource en eau. Ce qu’on appelle chez nous un « gourmand » et chez d’autres un « glouton ».
L’arbre nous a toujours interpelés par sa longévité. Nous avons l’exemple du corail, dont les polypes se reproduisent par millions jusqu’à former un récif dans la mer. L’arbre, quant à lui, est potentiellement immortel. On avait repéré autrefois, dans les montagnes moyennes de Californie, le Pinus longeva, âgé parfois de 5.000 ans. Un record. Mais ce record est tombé en 2017 avec un noisetier de Tasmanie (Australie), vieux de 43.000 ans : cet arbre drageonne le long d’une rivière sur 3 km. Bien sûr, l’arbre né de la première graine est mort, mais les drageons actuels sont issus de la même graine, donc du même arbre. C’est la réitération par drageons.
« J’aime cette citation de Francis Ponge, montpelliérain comme moi : « Les animaux, c’est l’oral. Les végétaux, c’est l’écrit ». Un arbre n’a que trois organes : une tige, des racines et des feuilles. Les arbres n’ont ni cœur, ni estomac, ni poumons, comme les animaux, mais ils en ont toutes les fonctions. Bien qu’ils n’aient pas de cerveau, ils réussissent à manipuler les animaux qui en sont pourvus. Exemple : l’acacia de Pretoria, en Afrique du sud, est mangé par les gazelles. Mais, au bout de vingt secondes, son feuillage n’est plus comestible, car la plante émet des terpènes qui rendent les rameaux non pas toxiques, mais sans appétence. De même, dans la région de Valence (Espagne), un cyprès émet sous l’effet du feu une substance qui rend l’arbre incombustible. On le plante en rangs comme pare-feu !
Les sensitives ont de la mémoire : elles replient leurs feuilles lorsqu’il pleut, mais elles ne les replient plus après la pluie. De même, la passiflore enroule toujours ses vrilles dans le même sens, même si on les dirige à l’opposé. Chaque espèce de liane a un sens de rotation qui est fixe. Un forestier de l’Institut polytechnique de Zurich a constaté que la lune influe sur la montée de sève, comme pour les marées. Nos ancêtres l’avaient observé sans pouvoir l’expliquer : le meilleur bois est coupé à lune montante. Certains chalets suisses, construits avec du « bois de lune », arrivent à durer 500 ans. On fabrique même des cheminées avec ce bois de lune très résistant !
La plante n’a pas d’organe vital. Elle ne connaît donc pas la mort violente. Il y a une résilience des plantes. L’intelligence des plantes ? J’aimerais y croire, mais je n’y crois pas. Au Japon, certains arbres ont des racines qui jouent le rôle d’antennes dans le sol, et l’on pense qu’ils peuvent prévoir les séismes. Une hypothèse difficile à prouver. Hallé, d’instinct, se méfie des intégristes qui attribuent aux arbres des qualités qu’ils n’ont pas.
Je me réfère aux bons auteurs : Michel Serres dit : « Soyons des arbres ». Voltaire, réfugié à Ferney, près de la frontière suisse, avoue : « Je ne fais plus que planter des arbres ». Nelson Mandela, détenu dans son île, entretient un potager. Il constate : «Je suis en prison, mais mes plantes sont libres ».
Une question sur le Radeau des cimes. Francis Hallé répond : « Cela a commencé en 1982. On a alors découvert que 80% de la faune sauvage se trouve sur la canopée des forêts équatoriales ». Où aura lieu la prochaine expédition ? : « En Birmanie, qu’on appelle aujourd’hui Myanmar ». Francis Hallé, botaniste de terrain, est toujours plein de projets.
Roger Cans.